Petit pays, grand show

Après plus de 30 ans d’absence, le Luxembourg a célébré en 2024 son grand retour sur la scène de l’Eurovision. Cette année, c’est à la chanteuse luxembourgeoise Laura Thorn qu’il revient de conquérir les faveurs du public international. Depuis la finale nationale du Luxembourg Song Contest en janvier à la Rockhal, jusqu’au grand événement en mai à Bâle, Eric Lehmann, chef de la délégation, accompagne la chanteuse au quotidien et reste son interlocuteur privilégié. Nous avons rencontré ce « vétéran » de la célèbre compétition musicale – domicilié dans notre commune – pour parler des défis du format, de l’histoire du concours et de l’organisation en coulisses.

« Peu importe qui gagne : pendant quatre mois, c’est presque comme si on était mariés », confie Eric Lehmann, le sourire caractéristique aux lèvres, lorsque nous le retrouvons en coulisses de la finale nationale en janvier 2025 à la Rockhal. À ce moment-là, personne ne sait encore que Laura Thorn remportera quelques jours plus tard le concours avec la chanson La Poupée Monte le Son. En fait, Eric encadre l’ensemble des artistes engagé·e·s dans cette campagne du LSC. On pourrait même dire qu’il incarne à lui seul l’image du concours. « Nous avons aujourd’hui un véritable chef de projet qui s’occupe principalement des aspects administratifs. Mais comme je me rends à l’Eurovision depuis 25 ans et que j’ai tissé tout un réseau, je suis un peu le ‘cerveau’ Eurovision du LSC. De nombreuses personnalités du milieu – anciens artistes ou producteurs – me connaissent personnellement », explique-t-il.

Eric Lehmann

Eric Lehmann

Qu’il s’agisse de constituer le jury pour les auditions nationales ou d’inviter les porte-parole chargé·e·s d’annoncer les points lors du Luxembourg Song Contest, le carnet d’adresses d’Eric Lehmann est bien rempli, et il sait toujours à qui s’adresser. Quant à l’accompagnement des artistes, son calme et son expérience contribuent à apaiser leur nervosité. Ils·elles savent qu’ils·elles trouveront auprès de lui des réponses à toutes leurs questions – techniques, logistiques ou même psychologiques. « Je tiens à souligner que je ne suis pas seul », insiste-t-il. « Nous sommes une vraie équipe, presque une famille. C’est essentiel, car il s’agit d’un événement très particulier. »

Entre nostalgie et renaissance

Les chiffres en attestent : les demi-finales et la finale à Malmö en 2024 ont été suivies par 163 millions de téléspectateur·rice·s, et 81 millions de vues sur YouTube ont été comptabilisées. Le premier contact d’Eric Lehmann avec le concours remonte à 1988, l’année où Céline Dion remporte l’Eurovision pour la Suisse. « Le Luxembourg avait terminé quatrième avec Lara Fabian. À un moment, pendant l’annonce des votes, nous étions même en tête », se souvient-il avec enthousiasme. « J’adorais la géographie, je harcelais mon père avec des questions : ‘Quelle est la capitale de ce pays ? À quoi ressemble son drapeau ?’ À l’époque, il n’y avait pas l’internet. L’Eurovision était aussi l’occasion d’entendre d’autres langues. On attendait ce rendez-vous chaque année avec impatience. » Le fait que le Luxembourg brillait à l’époque renforçait encore l’attrait du concours, ajoute-t-il.

« Beaucoup de pays font l’erreur de choisir un tube radio. Mais ça ne fonctionne pas à l’Eurovision. » – Eric Lehmann

Après 1993, c’est la fin de la participation luxembourgeoise. Mais le Luxembourg n’a jamais quitté les esprits. « Depuis 1998, j’assiste chaque année à la finale, souvent en tant que journaliste accrédité. J’ai fait des reportages sur place pour RTL avec les artistes et les délégations », se rappelle-t-il. « J’étais souvent le seul Luxembourgeois, et la première question qu’on me posait toujours, c’était : ‘Quand est-ce que le Luxembourg revient ?’ Nous avons écrit l’histoire. Avec cinq victoires, c’est un palmarès impressionnant pour un si petit pays. » En effet, jusqu’en 1993, le Luxembourg partageait la première place du classement historique avec la France et l’Irlande. « Le Luxembourg est apprécié. Cela s’est vu quand nous avons fait notre retour en 2024, accueillis à bras ouverts », résume Eric Lehmann.

Depuis le Luxembourg, il est la personne de contact auprès de l’Union Européenne de Radio-Télévision (UER), basée à Genève, qui regroupe 73 diffuseurs d’Europe, d’Afrique du Nord et d’Asie, et qui organise l’Eurovision. « C’est aussi elle qui nous présente les grandes lignes de la mise en scène et formule les prérequis. » Il ne suffit pas d’avoir une bonne chanson : un numéro Eurovision, c’est aussi un show visuel. « C’est fou. Avant, j’étais celui qui faisait les interviews sur le tapis turquoise (la couleur imposée par le sponsor principal, ndlr.). Aujourd’hui, c’est moi qui le foule. C’est une sensation étrange », confie Eric, avant de revenir sur un point essentiel.

« Beaucoup de pays font l’erreur de choisir un tube radio. Mais ça ne fonctionne pas à l’Eurovision. Il faut une vraie cohérence : les costumes, les lumières, les mouvements de caméra, la mise en scène… L’ensemble doit faire corps avec la musique. » Il souligne aussi l’importance du contexte : « L’année qui a suivi le Covid, Måneskin a gagné car le public avait besoin de quelque chose d’énergique. L’Ukraine est le seul pays à avoir atteint la finale chaque année depuis 20 ans. Ils savent transformer une chanson standard en un moment grandiose. »

Une passion qui rythme la vie

L’investissement personnel est énorme. Eric est enseignant de profession, mais il parvient à tout concilier. « Je réorganise parfois mes horaires, mais je fais toutes mes heures. Certains font du sport pour s’équilibrer, moi, c’est l’Eurovision, surtout l’aspect organisationnel. » Il avoue ne pas être particulièrement fan de certaines chansons, mais du concept en lui-même. « Monter un spectacle en direct, de A à Z, c’est ce qui me fascine depuis l’enfance. C’est le plus grand show de divertissement au monde, et pourtant, il reste très humain », confie-t-il. « Par exemple, j’ai toujours trouvé Patricia Kaas distante. Mais en 2009 à Moscou, pendant une interview, j’ai découvert une autre facette d’elle dans un échange plus personnel. »

« Nous sommes une vraie équipe, presque une famille. » – Eric Lehmann

Parmi ses souvenirs les plus marquants : l’édition 2012 à Bakou, Azerbaïdjan. « L’horaire devait respecter le fuseau horaire CET. Cela voulait dire que le show commençait à minuit heure locale et se terminait vers 3h30 du matin. La conférence de presse avec Loreen s’est tenue à 5h00 du matin. Ensuite, direction l’Euroclub, où nous sommes arrivés vers 6h00 ou 7h00. » Pour l’occasion, une salle entière avait dû être construite. « Le soir de la finale, les travaux n’étaient même pas totalement terminés. Il restait des câbles, l’odeur de peinture fraîche, et toutes les toilettes n’étaient pas encore fonctionnelles », sourit Eric. « Mais c’était incroyable de voir 20 000 personnes, en smoking ou robe de soirée, marcher depuis le centre-ville de Bakou le long du bord de la mer Caspienne, via une promenade spécialement construite pour l’événement… et rentrer à pied à 4h00 du matin. »

Du 13 au 17 mai 2025, c’est à Bâle qu’un nouveau chapitre de l’histoire de l’Eurovision s’écrira. Quand Eric Lehmann n’est pas en déplacement, il habite à la Commune de Sanem. « Je suis revenu l’été dernier », dit-il. « J’ai beaucoup de liens et d’amis ici. En plus, j’aime beaucoup le projet Belval. C’est un peu comme un mini-Manhattan », sourit-il. « Le site est vivant, grâce à la Rockhal, et très international avec l’université. » Pour ses jumeaux, c’est aussi l’endroit idéal. « Je suis content qu’ils aient intégré le Kannercampus. C’est une école interactive et formidable. »

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