La vérité sur nos vêtements et leur provenance nous intéresse-t-elle vraiment? « Vers une mode durable – à qui la responsabilité ? » était le titre de la table ronde organisée le mercredi, 26 février 2020 à l’Artikuss dans le cadre de la Semaine de l’environnement de la Commune de Sanem.
Le bourgmestre de Sanem Georges Engel était un des 4 intervenants de la soirée et s’est exprimé en faveur d’un discours public plus conséquent à ce sujet.
« Cet après-midi, j’ai posé une question parlementaire autour d’un concept qui a été lancé en France et dont on pourrait s’inspirer au Luxembourg. Il s’agit d’un label pour vêtements qui s’appuie sur 8 critères et à l’aide duquel on peut notamment retracer la production et évaluer la durabilité du produit. Malheureusement, nous sommes tous dans l’engrenage de ce grand système qui a pour but le profit. Mais il y a des individus qui essaient de trouver d’autres solutions, comme par exemple ceux qui sont réunis ici ce soir. Je pense qu’à la longue, de nombreux petits pas peuvent engendrer des grands changements. »
L’industrie du textile a une envergure de 2,5 billions de dollars par an. Dans ce big business, les responsables préfèrent fermer les yeux sur des aspects comme l’éthique ou la protection environnementale. La mode est l’une des industries les plus polluantes, se plaçant en deuxième position derrière l’industrie du pétrole, selon les statistiques des Nations Unies. Georges Kieffer de la BENU Village asbl a donné naissance au premier éco-village de la grande région à Esch, promouvant des produits et services « propres ». Sa motivation principale n’était pas l’idéalisme.
« C’était plutôt par consternation, car au Luxembourg, on ne passe que très rarement des paroles aux actes. La chose la plus importante dans la réalisation du projet BENU était la conviction qu’il faut fondamentalement changer nos comportements et qu’il faut se débarrasser du système capitaliste actuel. Mais la plupart des entrepreneurs qui refusent de jouer le jeu échouent. Chez BENU, on mène la lutte pour proposer une vraie alternative. Un des plus beaux moments, pour moi, c’était de constater qu’après une entrevue de 45 minutes, les décideurs politiques locaux et nationaux ont décidé de soutenir le projet dès le début. »
Qui dit mode organique et équitable au Luxembourg dit Akabo. Karel Lambert s’est lancé dans l’aventure en 2015 pour changer le monde. L’Akabo Bus et l’Akabo Buttek en plein centre-ville à Luxembourg répondent à une demande croissante pour des vêtements produits en concordance avec certaines valeurs éthiques et écologiques.
„En 2002, j’ai parcouru l’Asie tout seul en sac à dos. J’ai vu avec mes propres yeux l’impact désastreux de l’industrie, et donc de notre consommation, sur ces pays. Beaucoup d’années plus tard, avec mes 3 gosses, j’avais l’habitude de fréquenter une boutique à Dudelange qui vendait des vêtements bio pour enfants. La propriétaire me parlait toujours des difficultés dans ce segment du marché qui sont liées aux petites marges de manœuvre et aux prix élevés. Et puis la boutique ferma ses portes. J’avais des difficultés à l’accepter. On a donc créé notre propre magasin dans un bus il y a 5 ans pour voir s’il y avait une demande pour des vêtements bio et fairtrade pour adultes. On est aussi allé à l’Innatex à Francfort et on a découvert des marques de fringues cool dans ce segment. Mais, c’est difficile de rester compétitif. On travaille dans un environnement capitaliste et on doit, nous aussi, payer des loyers et des salaires. Et il faut proposer de nouvelles pièces aux clients assez régulièrement. »
Selon Karel Lambert, qui ouvrira un nouveau magasin avec des vêtements pour enfants à Dudelange en août, il faudrait que les consommateurs effectuent un changement de cap. Il a aussi souligné qu’il faut faire la différence entre « bio » et « fairtrade », car ils seraient trop souvent confondus ou employés comme synonymes. Du point de vue de Jean-Louis Zeien de l’ONG Fairtrade Lëtzebuerg, les problèmes commencent déjà au niveau des ressources.
« On a besoin de transparence. Cela fait 5 ans que Fairtrade s’est lancé dans la certification la chaîne de production du début à la fin, en collaboration avec les producteurs. Ceci inclut les producteurs de coton qui travaillent sur les champs en Afrique et en Inde, les usines de tissage et l’étape de production du CMT (Cut, Make, Trim). L’objectif a toujours été de protéger le maillon le plus faible dans cette chaîne. Mais nous voyons que beaucoup d’acteurs dans le secteur n’ont pas encore la volonté de garantir un salaire vital à leurs employés pour qu’il n’y ait plus de working poor. J’étais en Éthiopie il y a 5 mois où j’ai visité une usine textile avec 6.000 employés. L’industrie s’y est implantée car les salaires sont 10 fois plus hauts en Chine et 3 fois plus hauts au Bangladesh. Ça me révolte. Pour y remédier, il faut faire avancer des revendications écologiques et sociales. »
Georges Kieffer est d’avis que l’Europe, en tant que grand zone économique, devrait interdire l’importation de vêtements et de produits qui n’ont pas été créés dans le respect du living wage. Pour lui, le plus grand problème reste le manque d’appréciation de l’homme pour tout ce qu’il consomme. Selon des estimations récentes, les industries textiles et des chaussures produiront 100 millions de tonnes de marchandises par an en 2030. La production d’un seul jean en coton nécessite 7.500 litres d’eau.
« J’ai reparlé à une madame au téléphone qui nous avait visité dans le magasin il y a 6 mois. Elle avait un manteau préféré de haute qualité qu’elle n’avait plus mis les 10 dernières années car il était un peu démodé. Au début, elle avait voulu nous en faire cadeau, mais on l’avait convaincue de faire un upcycling et de lui donner une nouvelle vie. La semaine dernière donc, elle a téléphoné pour me dire que son mari est décédé. Son idée était de prendre les vieux vêtements de son mari pour en faire de nouvelles blouses. C’est à cause de tels moments qu’on fait notre boulot avec beaucoup d’énergie et satisfaction. »
Jean-Louis Zeien a donné une bonne note aux politiciens luxembourgeois car ceux-ci soutiendraient les efforts pour permettre une prise de conscience sur la problématique au niveau de la population. Il faudrait cependant renforcer le cadre légal, comme en France, pour obliger les entreprises à garantir le respect des droits de l’homme dans le cadre de leurs activités économiques. Karel Lambert espère que la jeune génération se libère du consumérisme. À son avis, il faudrait redonner de la valeur aux produits et de l’émotion au shopping pour que les consommateurs prennent leurs décisions plus consciemment. Georges Kieffer a partagé cet avis et a plaidé pour la slow fashion. Il s’est aussi exprimé en faveur d’un système de fixation des prix honnête en y intégrant les coûts des dégâts causés lors de la production des vêtements. Son raisonnement : quand un t-shirt ne coûterait plus 3, mais 80 euros, beaucoup de discussions seraient inutiles. En guise de résumé, Georges Engel s’est projeté dans l’avenir proche.
« Je souhaite qu’on réussisse à faire plus avec moins. Plus d’appréciation avec moins de consommation, en améliorant les standards sociaux. Je vais tâcher d’y contribuer moi-même. J’ai même saisi une idée concrète aujourd’hui. Ceux qui respectent les standards sociaux dans leurs activités devraient être récompensés, par exemple par un allègement fiscal. Je pense qu’une telle compensation serait un pas important dans la bonne direction. »